LE MONDE | 02.02.07

Beaucoup de fièvre et d'énergie avec la chorégraphe Olga Pona

R ares sont les chorégraphes russes contemporains qui parviennent jusqu'en France. Découverte en 2004 aux Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis, Olga Pona appartient au groupe des pionniers qui ont dégagé la voie de la danse contemporaine russe il y a quinze ans. Non sans témérité. Dans les années 1990, à l'exception du ballet et du folklore, il n'y avait rien pour aiguiller le désir de celle qui se destinait à une carrière d'ingénieur, spécialiste dans la technologie des tracteurs. 

Olga Pona a foncé. Avec le Chelyabinsk Theater of Contemporary Dance, sa compagnie lancée en 1992, elle ne s'attache à mettre en scène que l'urgence sincère d'un geste personnel. Autant dire l'impact de cette danse irréductible, ultradynamique, lorsqu'elle se confronte avec la réalité historique russe comme dans Staring in to Eternity (Le Monde du 31 mai 2004). La raideur formelle, une certaine naïveté n'entamaient pas la vigoureuse beauté de la pièce.Programmée pour la première fois au Théâtre des Abbesses avec deux nouveaux spectacles, Pona reste identique à elle-même. Plus tendue peut-être, plus anguleuse aussi, son écriture dépote. Presque trop. Gymnique dans son énergie, avec ses portés acrobatiques, ses bascules risquées, ses dégagés secs, elle joue en permanence sur l'hyperextension du mouvement, les jambes en grand écart, sans connaître aucun relâchement. AILLEURS, PLUS BEAU, PLUS RICHE.

Avec Does the English Queen Know What Real Life is About? (2004), pièce pour neuf danseurs, Olga Pona s'appuie sur une structure métallique, façon cage à pilotis, pour transformer ses interprètes en hommes volants. Accrochés à des sangles, ils s'activent dans leur petit espace vital pour en optimiser les moindres coins. On croit voir une curieuse tribu s'échiner à trouver mille moyens de survivre dans quelques mètres carrés. Does the English Queen Know What Real Life is About? a reçu en 2005 un Masque d'or, suprême récompense en Russie.Pour The Other Side of the River, Olga Pona plonge dans ses souvenirs de provinciale - elle est née dans une petite ville à la frontière du Kazakhstan - pour découper une tranche de vie des années 1960. Deux gars repassent des vêtements et s'ennuient ferme. Ils rêvent d'être ailleurs, autrement, plus beaux, plus riches, plus sexy. Leurs fers à l'ancienne fument autant que leurs cerveaux embouteillés.Beaucoup de fièvre pour des fantasmes qui tournent court. La comédie de l'amour ne dure qu'un temps et meurt sous les fausses notes. Accablante, la réalité selon Olga Pona ne fait qu'une bouchée des rêveurs. Un léger optimisme circule pourtant sous les jupons des filles mais le fond de l'air reste frais. Si la danse ralentit parfois son débit, elle n'en demeure pas moins expressive à l'aune d'un monde brutal. Peur de ne pas tout dire ? de ne pas se faire entendre ? de disparaître ? Qu'Olga Pona et ses danseurs se relaxent, le plateau leur appartient. 

Rosita Boisseau